18 juillet 2023

Le Sentier Transcanadien de Bonnie : les Topsails, à Terre-Neuve

Grand lake in Howley Newfoundland

Traduit du texte en anglais de Bonnie Thornbury

La quasi-totalité des 888 kilomètres de la T’Railway de Terre-Neuve serpente le long de la route transcanadienne, inaugurée en 1965 et qui a fini par remplacer le chemin de fer comme principal moyen de transport de la province. Mais là où la route dévie brusquement vers le nord à Badger, l’ancienne voie ferrée se dirige vers l’ouest jusqu’à la municipalité de Howley, située en bordure de sentier, et le serein lac Grand, qui porte bien son nom, avant de rejoindre la route à 20 kilomètres plus à l’ouest, à Deer Lake. Sur une distance de 100 kilomètres, la section entre Badger et Howley abrite le tronçon le plus éloigné du Sentier Transcanadien de Terre-Neuve, couronné par la merveille géologique des Topsails.

Un spectacle grandiose, à tous points de vue!

Atteindre les Topsails n’est pas chose facile pour qui veut se déplacer à pied, mais les courageux seront récompensés par l’un des plus beaux paysages de Terre-Neuve! En partant de Badger à l’est, le sentier monte progressivement de 490 mètres sur 60 kilomètres de terres broussailleuses jusqu’au sommet, Gaff Topsail, avant de redescendre brusquement de 490 mètres sur les 35 kilomètres restants, jusqu’à Howley.

En atteignant la communauté abandonnée de Quarry, soit une ancienne communauté bâtie autour du chemin de fer, avec ses énormes morceaux de granit qui servent désormais de carnet de visite en plein air pour ceux qui ont une bombe de peinture à portée de main, le relief prononcé des Topsails apparaît au grand jour. Au-delà du sommet, le paysage change radicalement, passant de tons humides, plats, moroses et sourds à des tons luxuriants et ensoleillés, à mesure que les Long Range Mountains se profilent à l’horizon. Le changement brutal — et la vie foisonnante — de cette zone d’importance écologique laisse une impression durable, qui n’est surpassée que par l’arrivée au grand Lac scintillant, à Howley.

Quel spectacle grandiose, à tous points de vue!

Les merveilles géologiques des monadnocks

Topsails Monadnocks à Terre-Neuve

Les Topsails sont des monadnocks — des montagnes isolées qui se dressent brusquement dans une plaine environnante, formées par l’érosion d’un corps rocheux dur enveloppé par des roches plus tendres, au cours de milliers ou de millions d’années. En d’autres termes, observer le sommet d’un monadnock, c’est voir les hauteurs de paysages anciens et admirer la grandeur d’une érosion par ailleurs imperceptible. La Terre est vraiment trop cool!

À part les merveilles naturelles, les Terre-Neuviens ont la réputation de savoir jouer avec les mots, comme en témoigne la dénomination des Topsails. Les quatre monadnocks qui composent le groupe des Topsails sont Main (grand hunier), Mizzen (perroquet de fougue), Gaff (voile de flèche) et Fore (petit hunier), des termes maritimes qui décrivent les huniers, soit les voiles supérieures situées tout en haut d’un navire. Les Topsails se trouvent juste à l’ouest du centre de Terre-Neuve, qui est en fait un gros rocher flottant au milieu de l’océan Atlantique. Imaginer les Topsails comme les voiles de la province, en pensant à Terre-Neuve comme à un navire incliné sur le côté contre un fort coup de vent… quelle poésie aussi satisfaisante pour l’esprit que le paysage l’est pour les yeux!

Et le paysage n’est rien moins qu’époustouflant, offrant de vastes étendues balayées par des nuages aux formes changeantes qui transportent la pluie et la brume vers des horizons lointains. Mais une longue randonnée invite à porter attention aux détails : des touches de couleur attirent l’œil grâce aux pointes rouge vif de la cladonie mince, aux bourgeons jaune vif des chatons d’aulnes qui bordent une grande partie de la randonnée, ou aux pousses vert émeraude des mélèzes laricins robustes qui dansent au gré du vent comme de minuscules couronnes. Les plaines broussailleuses sont connues pour leurs vents violents, leur neige abondante et leurs changements climatiques rapides.

Un cadre idéal où observer la faune et la flore

Caribou sauvage le long du Sentier transcanadien

La région des Topsails offre un cadre idéal pour l’observation de la faune et de la flore sauvages, dans un environnement isolé et non perturbé par les activités industrielles ou la circulation. Un caribou mâle solitaire au pelage majestueux perché au sommet d’un rocher de granit; un troupeau de veaux caribous couchés dans l’herbe haute tandis que des vaches caribous broutent à proximité par groupes de trois ou quatre; un caribou décontracté aux sabots fendus qui déambule sur le sentier devant moi pendant plus d’un kilomètre avant de s’enfoncer tranquillement dans les bois; une grive à gorge blanche dont le chant incessant devient un bruit de fond réconfortant; un castor curieux qui fait claquer sa queue contre les eaux d’un étang par ailleurs paisible, peut-être en guise de bienvenue ou d’avertissement; l’apparition soudaine d’un vaste troupeau d’orignaux que j’ai peut-être surpris à plusieurs reprises…

Lors d’une rencontre particulièrement attachante avec un orignal, une vache s’est approchée du bord du sentier bordé d’aulnes épais et a regardé des deux côtés avant de traverser, apparemment consciente des dangers potentiels d’une collision avec un véhicule côte à côte ou un VTT. Au moment où la patte arrière de la vache a disparu dans les ronces de l’autre côté du sentier, un veau a sorti sa tête, regardé des deux côtés comme l’avait fait son parent et traversé le sentier en toute sécurité!

Un plongeon dans l’histoire du chemin de fer

En traversant les longues plaines accidentées couvertes de bruyères, il est facile d’imaginer les images et les sons des lourdes locomotives en acier qui s’ébranlent et hurlent le long de ce qui était autrefois la principale voie ferrée de la province. Le train de passagers de Terre-Neuve était surnommé le « Newfie Bullet », un nom ironique en raison de sa lenteur. En parcourant ce tronçon, on est plongé dans l’histoire du chemin de fer, à travers les vestiges de l’époque : wagons transformés en cabanes, passages à niveau transformés en ornements de pelouse, tréteaux en acier lourd construits pour durer. De nombreuses cabanes, construites à l’origine par des cheminots pour faire une halte entre deux postes de travail, appartiennent encore à leurs descendants. Le dernier train a traversé la province en 1989, mais les habitants racontent encore des histoires de trains bloqués dans de gigantesques bancs de neige, fiers des prouesses techniques des trains chasse-neige chargés de dégager les voies et des conditions météorologiques difficiles qui ont parfois immobilisé les trains.

La gentillesse, ça fait du bien!

VTT Rail Line Badger à Howley Terre-Neuve

Comme la météo peut changer très rapidement dans cette région, de nombreuses personnes qui passaient en VTT ou en véhicules côte à côte se sont arrêtées pour m’indiquer les cabanes ouvertes, si jamais j’avais besoin d’un endroit où me réfugier, « au cas où vous auriez du mauvais temps là-haut ». J’avoue avoir été très ému.e en pensant à ces gens qui se soucient les uns des autres et qui s’assurent que leurs cabanes soient accessibles pour ceux qui en ont besoin. Les gens peuvent être si gentils, si accueillants, si ouverts…

Par exemple, Larry, qui était en route pour réparer un toit, m’a demandé si je voulais quelque chose — une boisson fraîche ou autre chose. J’ai demandé : « Qu’est-ce que vous avez? »
« Tout ce que vous voulez! »
« Eh bien, j’aime bien boire un Coca-Cola quand je fais de la randonnée! »
« D’accord, continuez votre randonnée et je vous retrouverai! »
Larry est parti à toute allure et est revenu un peu plus tard avec un Coca-Cola bien frais et un Reese’s au beurre de cacahuètes. Comme c’est gentil!

Ma première soirée après Badger, j’ai eu le grand plaisir de rester avec Jim et Shirley dans leur cabane hors réseau et d’assister à un dîner. Les voisins sont arrivés en véhicules côte à côte et on s’est tous entassés dans la cabane. Le matin, ils m’ont donné une bonne quantité de crabes qui aurait rapporté gros au marché… J’ai même dû limiter la quantité qu’ils voulaient me donner! Les Terre-Neuviens ont vraiment le cœur sur la main. Dans cette région isolée et accidentée, l’hospitalité typique de la côte est à son apogée, et personne n’a peur de donner un coup de main ou de demander de l’aide.

Je n’avais vu personne depuis trois jours en quittant le sentier au réservoir d’eau de Deer Lake, le village situé après Howley. Après le passage de la fin de semaine, agréable sans être envahissant, j’ai pu replonger dans mon bain de nature. Mais je ne me suis jamais senti.e seul.e — les quelques cabanes isolées, construites pour répondre aux besoins spontanés des visiteurs, m’ont permis de sentir une présence humaine. J’ai imaginé tous les moments de tranquillité dont on peut probablement profiter ici : la dernière tasse de thé et une chanson qui joue à la radio, la nature à portée de main et les caribous juste derrière la porte.

Si vous avez la chance de traverser ce tronçon, préparez-vous à vivre beaucoup d’émotions fortes et à développer un nouveau besoin, soit l’envie d’y revenir!

Vous voulez en apprendre davantage? Gardez un œil sur cette page pendant les mois à venir alors que je partagerai des moments forts, des conseils de sécurité, la magie des sentiers et l’expérience d’affronter le Sentier à vélo après s’être brisé le pied! Vous pouvez également suivre mes histoires sur Instagram (@bonnbury, en anglais seulement) et mon journal photo du Sentier sur mon blogue (www.bonnvoyages.ca). Au plaisir de vous voir dehors!