10 janvier, 2018

Une année sur le Sentier Transcanadien

Par Mel Vogel

La majorité d’entre nous explorons le Sentier Transcanadien à petites doses, section par section, profitant de nos aventures en plein air quelques heures à la fois. Mais Mel Vogel, elle, s’est mise en frais pour une expédition bien plus longue: une randonnée de 15 000 kilomètres à travers le Canada – de St. John’s, au Nouveau-Brunswick, jusqu’à Victoria, en Colombie-Britannique. Il lui faudra deux ans, c’est-à-dire huit saisons, pour compléter ce défi grandiose.

Au fil de son voyage aussi gratifiant qu’exigeant, Mel nous raconte son expérience et partage avec nous ce que sa longue randonnée pédestre lui fait découvrir à propos du Canada.

Le Canada vient tout juste de célébrer la Journée internationale des sentiers, le 2 juin. Au même moment, je marchais sur le sentier Cataraqui, à Smith Falls; un sentier qui fait partie du réseau du Sentier Transcanadien, qui compte plus de 400 sentiers pour raccorder le Canada entre les océans Atlantique, Pacifique et Arctique. Ce jour-là, mes souvenirs m’ont ramenée un an en arrière pour me rappeler que par un matin enveloppé de brume, je me tenais debout au phare de Cape Spear, à Terre-Neuve, avec un sac de 27 kilos sur le dos. Optimiste, j’ai fait ce matin-là le premier des millions de pas que j’aurais à faire dans les deux prochaines années et demi, et je me suis lancée dans la plus grande aventure de toute ma vie: une randonnée de 15 000 km vers l’Ouest pour atteindre Victoria, en Colombie-Britannique, en empruntant le plus long sentier récréatif du monde.

J’ai cessé de compter les fois où un automobiliste m’a proposé de m’emmener. J’ai beau avoir les pieds en feu, et le chauffeur peut bien me promettre en blaguant qu’il n’en «dira rien à personne», je refuse toujours poliment en répondant fièrement et sur un ton ferme: «Non merci, je vais marcher.».

Les deux premiers mois de ma randonnée m’ont menée sur 900 km du sentier T’Railway, de St. John’s à Port aux Basques, à travers la province de Terre-Neuve.

Mon sac à dos de 27 kilos m’est devenu de plus en plus lourd et inconfortable. J’ai souffert. J’étais couverte d’ecchymoses au niveau des clavicules, de la colonne et de l’os iliaque; ma peau était irritée aux endroits où le sac frottait sans cesse sur mes vêtements. J’avais les pieds en compote. Trébuchant sur les pierres, j’ai dû trimbaler ma douleur lentement mais sûrement sur des kilomètres, et j’avais l’impression que ça ne s’arrêterait jamais. Entourée de marécages, souvent je me suis arrêtée pour m’asseoir dans la poussière du Sentier ou soulager mon corps meurtri dans l’eau froide d’une rivière ou d’un lac. J’étirais ces pauses pour repousser le moment où je devrais me remettre à marcher et, donc, à remettre à nouveau sur mon dos ce sac que j’arrivais à peine à soulever. En plus de combattre la douleur, il m’a fallu affronter des nuées de moustiques voraces et endurer les mouches noires pendant les chauds mois d’été. Puis, au coucher du soleil, je montais ma tente. Je retenais mon souffle au moindre craquement de branches amplifié par l’écho de la nuit; «Quoi que ce soit, je me disais, j’espère que ça ne parviendra pas jusqu’à ma tente.».

La douleur, l’inconfort et la peur sont devenus des compagnons de tous les instants.

Abandonner? Que non! Cette pensée ne m’a jamais traversé l’esprit.

Au cours de cette randonnée, mon amour du voyage a pris une dimension complètement différente, et ce vieil ami qu’était la route m’a offert quelque chose de très précieux en retour: la liberté et le contentement. La beauté des paysages où je me trouvais, ajoutée à ce sentiment de satisfaction, a su compenser pour mes souffrances. J’ai chanté, ri, crié, et parfois même pleuré mon bonheur et ma détresse à travers les zones marécageuses de Terre-Neuve.

Par le traversier, je me suis rendue à North Sydney et j’ai passé le reste de l’été au Cap Breton et sur l’île principale de la Nouvelle-Écosse. Après plusieurs mois de randonnée, c’est avec fascination que j’ai constaté que mon corps s’adaptait tranquillement à ce que je lui imposais. La randonnée m’étant devenue plus aisée, j’ai bravement repoussé mes limites et testé mes capacités en marchant, certains jours, plus vite et plus longtemps.

À la fin de mon séjour en Nouvelle-Écosse, je ne craignais plus de marcher seule dans la forêt ou dans la noirceur de la nuit. J’arrivais à trouver le sommeil malgré les hurlements des coyotes au loin. J’adorais suivre sur les pistes des animaux sauvages. Orignaux, lièvres, chevreuils, renards, ours et coyotes – ils demeuraient invisibles, et pourtant m’entouraient. Et comme un animal sauvage, je laissais moi-même une piste dans la poussière et la boue des sentiers.

Tout l’été et l’automne, j’ai cueilli des baies sauvages, des pommes et même des champignons sur mon chemin. Après avoir emprunté le traversier vers l’Île-du-Prince-Édouard, j’ai profité des vives couleurs des feuilles d’automne dans cette petite île, et il m’est arrivé de cueillir quelques oignons et pommes de terre dans les champs pour agrémenter mes repas du soir.

L’automne a été long et s’est étiré jusque tard en décembre. Un court trajet en navette m’a permis de traverser le pont de la Confédération et de gagner ma quatrième province, le Nouveau-Brunswick. La température s’est graduellement refroidie, et je suis ainsi passée de l’équipement estival à celui d’hiver.

Avec l’arrivée de la neige, la température est tombée sous la barre des -25 oC. L’hiver est devenu mon nouveau défi, un défi que je maîtrisais adéquatement le jour. La nuit, c’était une tout autre histoire: le camping d’hiver me faisait craindre l’hypothermie et les engelures, et je devais lutter contre le froid intense qui tombait dès le soleil couché. Mais l’hospitalité et la chaleur de l’accueil des Canadiens m’ont permis, comme dans les mois qui ont précédé la saison froide, de poursuivre mon périple et d’acquérir une expérience pratique qui s’est avérée précieuse pour le camping d’hiver.

Après mon passage dans la ville de Québec, les journées se sont adoucies. À l’extérieur de la ville, les cris des outardes annonçaient le printemps. L’odeur de la terre embaumait l’air, et les premiers bourgeons commençaient à pointer. C’est lorsque j’ai eu presque fini de traverser le Québec qu’enfin, dame Nature donnait naissance à une nouvelle vie. Avec les arbres qui fleurissaient et les plantes qui sortaient de leur torpeur, je me suis trouvée entourée de vert tendre et vif, et mon moral s’est allégé pour faire place à la joie de vivre.

Je passerai l’été qui commence en Ontario, où je dois parcourir plus de 4 000 km. Maillot de bain et premier permis de pêche en poche, je me sens fin prête à plonger dans l’aventure et à taquiner le poisson.

Pour ma deuxième année sur le Sentier Transcanadien, je sais que j’affronterai différemment les défis qui se présenteront à moi. Ma force, ma confiance en moi et mon point de vue sur la vie et les priorités ont changé. J’ai la chance de pouvoir profiter de la simplicité et de la légèreté d’être pendant une autre année. Et je continuerai de prendre consciemment le temps de le faire, puisque la pleine conscience et le fait de «vivre dans l’instant présent» sont tout ce que j’ai dans cette aventure.

La lenteur de la vie, tout comme la lenteur de la marche, ont eu pour effet de tout ramener plus près de moi et de faire durer tout plus longtemps. Je me sens plus près des odeurs, des sons et de la beauté des différentes saisons, des individus et des animaux sauvages qui croisent mon chemin, et à mesure que je suis de plus en plus en phase avec la nature, je le suis également davantage avec moi-même.

J’adore voir défiler mes pensées en même temps que les kilomètres du Sentier. C’est un dialogue continuel que j’entretiens avec ma personnalité la plus profonde et intime. Pendant les longues heures que j’ai vécues en solitaire avec dame Nature, j’ai appris à m’aimer moi-même en toute humilité et en toute quiétude, et j’ai aussi appris – parfois à prix fort et dans des circonstances pénibles – à me montrer plus attentive à mes propres besoins.

Voyager au ralenti me permet par ailleurs d’avoir une compréhension différente de la distance et du temps. Le temps de ressentir, d’observer et d’étudier. Le temps de se retrouver pour partager nos expériences.

Ma randonnée d’un an à travers cinq provinces, ainsi que les gens de tous les milieux que j’ai eu l’occasion d’y rencontrer, m’ont confirmée dans ma croyance que les humains sont majoritairement des êtres bons. La gentillesse et le soutien qu’ils m’ont démontrés, depuis le début de mon projet, m’ont investie d’une force nouvelle et m’ont donné le moyen de m’épanouir, comme être humain, dans mon aventure.

Vous me trouverez sur le Sentier, à mettre un pied devant l’autre…
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