24 octobre, 2022

Doigts collants et pistes difficiles

Texte et photos de David Jackson de l’association Path of the Paddle. Lieu : Path of the Paddle sur le sentier Maukinak.

Nous avons quitté Vermillion Bay ravitaillés. Le sentier nous ayant endurcis, nous sommes partis convaincus de pouvoir tout affronter. Nous nous sommes donc lancés dans le labyrinthe du lac Eagle et nous avons pagayé jusqu’en fin d’après-midi, au moment où le soleil laissait sa place à une pleine lune qui nous servit de guide jusque dans la nuit. Sachant que, sur un lac de cette taille, les vents pouvaient nous empêcher de progresser pendant des jours, nous avons maintenu un rythme effréné jusqu’aux eaux étroites du sentier Maukinak. Et même si nous avancions, nous savions qu’un grand défi d’endurance nous attendait, car en quittant Vermillion Bay, nous n’avions que 9 jours pour franchir près de 300 kilomètres et effectuer 64 portages jusqu’à Atikokan, lieu de notre ravitaillement suivant.

Pendant neuf jours, donc, nous avons pagayé jusqu’à ce que de petits panneaux blancs du Sentier Transcanadien apparaissent. Nous déchargions alors nos canots et transportions notre matériel sur le sentier. Nous avons dû faire chaque portage trois fois – deux fois chargés de matériel, une fois les mains vides – avant de replacer tous nos biens dans les embarcations de l’autre côté et de reprendre les pagaies. Certains jours, nous devions effectuer de 10 à 12 portages, totalisant près de 3 kilomètres de sentier, ce qui signifiait pour nous une marche de 9 kilomètres, en plus des 30 kilomètres de distance réelle que nous devions franchir quotidiennement pour respecter notre calendrier.  Nous avons vite réalisé qu’il nous faudrait sortir quelque peu des sentiers battus, car ces derniers prennent beaucoup de temps, en plus d’être physiquement éprouvants. Et pour corser les choses un peu, des orages ont commencé à faire rage. Et même si nous avons souvent supposé que les éclairs, le vent et la pluie allaient finir par se calmer, le temps allait en fait rarement s’améliorer pendant les trois semaines à venir.

Nous avons finalement atteint Atikokan, comme des tourbillons. Nous courions partout pour rassembler rapidement notre matériel de ravitaillement et rattraper le temps perdu. Nous avions espéré pouvoir nous reposer et réfléchir à la suite des choses, mais nous n’avons eu que très peu de temps pour rassembler les éléments essentiels au dur périple qui nous attendait pour atteindre le lac Supérieur, à 225 kilomètres de là. Nous avons donc quitté la région qui s’autoproclame la capitale canadienne du canot pour entrer dans ce que bon nombre de pagayeurs considèrent comme un paradis à visiter, le parc provincial Quetico, qui est considéré comme un parc sauvage, car il n’offre aucun repère pour le camping, les portages, les chutes ou les rapides. Et effectivement, nous ne croiserions aucun panneau pendant au moins 100 kilomètres. L’endroit donne aux pagayeurs le sentiment de cheminer dans un espace sauvage où la navigation et la planification de l’itinéraire sont dictées par la diligence et l’expérience. Pour Branwen, Leah et moi, c’est une région qui nous est intimement familière, et nous pourrions presque voyager sans carte. Le paysage et les campings sont nos arrière-cours, et Bruce a rapidement été immergé dans la nature sauvage du parc. À l’extrémité sud, Chris Stromberg, légendaire gardien de parc dont les récits sont sans égal, nous a rejoints.

Une fois le parc traversé, nous avons repris la tâche d’apposer des collants de mise à jour sur les panneaux du Sentier Transcanadien. L’activité nous a procuré un grand bien-être, nous donnant l’impression de retrouver un vieil ami avec qui réaliser la tâche d’aider le prochain voyageur à retrouver son chemin. Pendant 27 jours, nous avions remonté le bassin de l’Arctique, en suivant parfois le courant, mais en luttant toujours plus haut vers la ligne de partage des eaux, un endroit magique où un petit col de roche et de boue sépare l’eau destinée à différents océans. En traversant le lac North, dont les eaux se rendent jusqu’aux ours polaires de Churchill, au Manitoba, nous avons effectué le court portage qui mène jusqu’au lac South. Pour la première fois du voyage, nous plongions nos pagaies dans une eau destinée au golfe du Saint-Laurent et à l’océan Atlantique. Nous nous sentions comme des gouttes de pluie qui choisissent un parcours différent, et dans les jours qui suivirent, les sentiers nous menèrent à l’eau douce du lac Supérieur.

Le plus grand lac du monde n’est pas un endroit sûr pour les canoéistes non préparés, mais c’est un endroit exceptionnel pour les plus expérimentés qui font preuve de diligence et qui prennent des décisions judicieuses. Les rivages sont abrupts, souvent en falaise, et les plages bordent des baies adossées à des montagnes. Leah et moi nous sentons chez nous dans ce lac, et alors que nous pénétrions dans la splendeur d’une grotte marine, notre souffle s’élevant en petites bouffées à cause du froid glacial du lac, nous ne pouvions nous empêcher de sourire. Mille kilomètres de voies d’eau nous avaient conduits jusque-là, à travers un réseau de sentiers, ce lien magique entre les lacs, les rivières et les ruisseaux.

Lorsque le soleil s’est levé le dernier matin, les falaises entourant Sturgeon Bay se sont illuminées d’une lueur orange. Nous étions dans un nouveau camping de Path of the Paddle, et un nouvel autocollant du Sentier Transcanadien irradiait derrière nos tentes. Les vents du sud commençaient à souffler du lac, et nous nous sommes empressés de traverser l’endroit idyllique où les canots nous avaient emmenés. Alors que, sous l’œil vigilant de Sleeping Giant, nous surfions sur les vagues et nous laissions porter par celles-ci, nous pouvions voir la petite plage qui serait le point d’arrivée de notre voyage.

Nous avons échangé des « tape-là » cérémonieux et des embrassades. C’était fini. Personne ne nous attendait pour nous féliciter. Il n’y avait que nous et nos dos puissants, les bras zébrés de veines saillantes, les jambes gonflées à bloc et la tête remplie de moments inoubliables sur le Path of the Paddle. Pendant 29 jours, nous avons pagayé sur le Sentier Transcanadien, et nous nous sommes créé des souvenirs que nous chérirons jusqu’à la fin de nos jours.

 

Lisez l’histoire précédente : voyages d’été sur le Path of the Paddle
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