20 septembre, 2018

20 septembre 2018 – Journal de bord de Mel Vogel

Par Mel Vogel

J’ai quitté le campement de West Montrose après deux jours, entamant ma randonnée en milieu de journée avec un désagréable coup de soleil dans le dos – conséquence de quelques heures de lecture matinale sans protection solaire.

J’ai suivi le sentier Kissing Bridge sur 5 autres kilomètres. De là, le Sentier Transcanadienr m’a conduite sur les 16 kilomètres du sentier Cottontail Road, qui lui m’a menée à Elora, un petit village d’environ 8 000 habitants au cœur de Wellington County. L’après-midi ne faisait que commencer et, déjà, je me faisais dévorer par les moustiques alors que je transitais du chemin de gravier des zones boisées ombragées vers les champs et la route asphaltée. De la voie de service de la route 12 à la route 6 Est, puis à la voie de service de la route 10 et, enfin, à la route 2 Est, je me déplaçais comme un chevalier sur son échiquier à travers la chaleur infinie de mon paisible royaume. Le soleil couvait lourdement les champs et le Sentier. Ni arbre, ni brise, ni ombre; la chaleur du soleil me brûlait la peau, et cette peau drainait l’eau de mon corps en tentant de le rafraîchir.

Mon esprit divaguait. Alors que j’étais là, à rôtir dans cette chaleur intense, il m’a fait voyager des prairies de la Saskatchewan à une aventure passée dans le désert du Gobi, puis jusqu’en Afrique – ma destination numéro un des choses à voir et à faire absolument avant de mourir. Le sillage d’un camion et de quelques quatre-quatre m’a laissé une bouffée d’air poussiéreux à respirer, et j’ai continué à marcher lentement pendant que mon esprit me transportait à bord d’un autre avion et vers des horizons lointains. Je rêvais de voyage pendant mon voyage. Jusqu’à ce que le bourdonnement des tracteurs et le bruit d’une tondeuse à gazon me ramènent dans le présent: une haie d’arbres sur une pelouse bien entretenue, bordant un champ de maïs, me proposait une pause à l’ombre. J’ai versé un peu de Kool-Aid dans ma tasse et je l’ai remplie d’eau fraîche de ma bouteille isolante. J’ai rêvé de crème glacée – de BEAUCOUP de crème glacée – en mordant dans mon dernier sandwich au fromage, tout sec et à moitié fondu, et en engloutissant ma barre granola. Ça m’a donné suffisamment d’énergie pour parcourir les derniers kilomètres qui me séparaient du village.

Avant d’arriver au village, je me suis arrêtée à la zone protégée d’Elora Gorge. J’ai dévié de mon chemin pour aller m’enquérir des tarifs de camping, mais c’est avec déception que j’ai repris la route après avoir appris que les frais d’une nuitée sur un terrain de camping «sans service» s’élevaient à 39 $, ce que mon budget ne me permet malheureusement pas. En revanche, les employés se sont montrés assez aimables pour remplir mes deux bouteilles d’eau froide. Une heure plus tard, j’entrais dans Elora, où j’ai pu admirer le coucher de soleil sur Grand River. Sur l’appli du Sentier Transcanadien, j’ai évalué les choix de sites qui s’offraient à moi pour la nuit, et j’ai opté pour un coin tranquille de Bissell Park, qui me semblait assez éloigné du centre du village pour que je puisse y monter ma tente sans ennuis. Je marchais sur l’accotement étroit qui se trouve du côté droit de E Mill Street quand Charlotte et Trish ont croisé mon chemin, de l’autre côté de la route. Si c’est la curiosité de Charlotte qui a fait en sorte que la conversation s’installe, c’est l’hospitalité de Trish qui m’a menée chez elle. Tout s’est déroulé très vite, mais comme ces deux femmes m’ont fait confiance, je leur ai fait confiance. En raison d’une expérience antérieure, j’ai demandé à Trish d’obtenir l’accord de son mari avant que je m’installe chez eux pour la nuit; Jim est sorti du salon pour venir à ma rencontre et me serrer chaleureusement la main sur le pas de la porte. J’étais la bienvenue.

Trish est une mère d’accueil. Je ne me souviens plus combien de chiens elle a accueillis chez elle en attendant de leur trouver une famille, mais je me souviens qu’il y en a eu beaucoup. Elle m’a présenté Jack – un grand danois de 73 kilos – un géant très sociable au tempérament ultradoux. Subjuguée à la fois par sa personnalité et sa taille, je me suis instantanément amourachée de lui. J’ai passé le reste de la soirée à lui caresser le ventre alors qu’il avait posé sa tête sur mes genoux, les quatre fers en l’air, pendant que je discutais avec Trish et Jim au salon. J’avais l’impression de flatter un poney, et pourtant, il se comportait comme tous les chiens du monde!

Je me suis trouvée seule avec Trish le lendemain matin, Jim étant parti au travail. Nous parlions de confiance et de gentillesse quand Trish m’a confié une anecdote à propos d’un moment de sa vie où des étrangers ont abusé de sa générosité. En toute malhonnêteté, des gens qui avaient bénéficié de sa gentillesse ont agi sans considération et ont pris son altruisme pour une faiblesse plutôt que pour de la bonté. Trish a dû se battre pour se faire respecter et obtenir des excuses de ces personnes, ce qui lui a fait réaliser qu’elle devait elle-même définir les limites de sa générosité. Malgré cette expérience négative, elle demeure bien décidée à aider les autres – les étrangers comme moi, qui éprouvent une profonde reconnaissance pour l’existence de gens capables de compassion et aussi charitables que Trish. Nos expériences façonnent notre culture et notre histoire. Au fil de nos rencontres, nous avons la responsabilité de nous assurer que les expériences que nous créons tracent un sentier positif vers l’avenir, et de faire en sorte que ces mêmes expériences nous relient plutôt que de nous désunir.

À nouveau, je me tenais sur le pas de la porte de Trish; cette fois pour mon départ. Trish m’a tendu un collier avec un pendentif de hibou – c’était un cadeau personnel, une façon de m’offrir protection et bons vœux.

Ce jour-là, Trish partait pour se rendre à son chalet dans la région de North Bay. Ce trajet, qui allait lui prendre toute la journée en voiture, allait me prendre des semaines à parcourir à pied.

De retour sur le Sentier, j’ai repris ma marche sur le sentier Elora Cataract en direction de Fergus et de la zone de conservation de Belwood Lake. Des vaches, des champs, des arbres solitaires, des buissons à hauteur du genou et de la pelouse bordaient l’impeccable sentier de gravier. J’ai bien apprécié le changement de paysage en arrivant au barrage de Belwood Lake: sur ma droite, Grand River menait à la nature sauvage et, sur ma gauche, le lac offrait une belle ouverture. Le ciel était couvert, et les gouttes de pluie qui s’en échappaient m’ont fait presser le pas afin de me trouver un endroit où camper. Comme il est interdit de monter sa tente dans la zone de conservation, je suis demeurée de l’autre côté du barrage et j’ai suivi le chemin qui menait à l’eau. Les roseaux me laissaient un espace bien restreint sur cette plage de galets, mais tout de même suffisant pour moi et ma tente. Le sol, avec son armure de pierres grises de petite et de moyenne taille, était traversé d’une ligne d’algues séchées et de bâtons, et me donnait l’impression d’être peu adapté au camping. Je suis donc allée faire un repérage des environs, là où se trouvaient quelques arbres, mais le sol y étant jonché d’éclats de verre de bouteilles de bière, l’espace hostile et lilliputien qui se trouvait sur la plage demeurait ma meilleure option. Après m’être installée, j’ai regardé les bateaux glisser sur l’eau et passé les heures du crépuscule à lire. Quand j’ai éteint ma lampe, le silence avait repris ses droits dehors. On n’entendait que le clapotis des vagues et le barbotage intermittent des poissons qui sautaient dans l’eau.

Le lendemain, j’ai traversé le barrage et fait la rencontre de Noah et Sedat, qui avaient pris une journée de congé pour aller pêcher. Alors que nous discutions de mon aventure, je leur ai fièrement raconté que je tentais d’apprendre à pêcher pour éventuellement pouvoir me nourrir des poissons que j’aurais moi-même attrapés. Les deux jeunes hommes m’ont donc invitée à me joindre à leur partie de pêche. J’ai mis une minute à me décider mais, me disant que de telles expériences étaient partie intégrante de mon aventure, j’ai décidé de les suivre. Nous nous sommes installés du côté rivière du barrage; rien. Puis, nous nous sommes déplacés du côté du lac; toujours rien. Nos appâts sont restés intacts. Mais malgré l’insuccès de notre pêche, nous étions tous d’accord: la journée que nous avions passée ensemble a été super. Plus tard dans l’après-midi, nous nous sommes dit au revoir, et les gars sont repartis avec leur équipement. De mon côté, je suis retournée à la rivière pour me préparer des nouilles; j’étais affamée. En mangeant, je me suis demandé s’il valait mieux passer la nuit au même site qu’hier ou profiter des dernières heures du jour pour continuer d’avancer. J’ai choisi la deuxième option.

Quand j’ai eu fini de nettoyer mes plats et de remballer mes affaires pour reprendre la route, il était vraiment tard. J’ai tout de même réussi à parcourir 12 kilomètres pour terminer la journée à Orangeville-Fergus Road. J’espérais trouver un bon endroit où planter ma tente sur le Sentier, mais j’ai dû m’en éloigner pour trouver un endroit sécuritaire où passer la nuit. Cette fois, je me suis installée derrière un massif fleuri, en face d’une petite forêt flanquée d’épinettes de chaque côté. Avant de me coucher et d’éteindre ma lampe pour la nuit, je me suis assurée de ne pas être visible à partir de la route. C’est une voix de femme qui m’a tirée du sommeil; à demi-éveillée, j’ai sorti la tête de ma tente pour l’entendre me dire que je me trouvais sur sa propriété. J’avais pris un risque la veille, malgré que cette pensée m’avait traversé l’esprit. Je me suis excusée, lui expliquant mon aventure et l’assurant que je ne faisais que passer. La dame s’est montrée compréhensive et s’est éloignée dans sa voiture. Puisque j’étais réveillée à présent, j’ai rassemblé mes affaires et me suis remise en chemin. Durant les deux heures qui ont suivi, j’ai marché pour me rendre à la station Esso de Hillsburg. Ayant peu dormi au cours des trois dernières nuits, ma progression était plus lente. Je mourrais d’envie de boire un café dans un espace climatisé, et la station d’essence m’apparaissait comme la terre promise. «On vous attendait», m’a dit le jeune homme au comptoir quand j’ai poussé la porte du magasin. Je l’ai regardé avec de grands yeux et me suis mise à rire – sa blague était la plus mignonne qui soit.

Le café était insipide, typique des cafés qu’on propose en restauration rapide, mais tout de même, c’était bien agréable de pouvoir m’offrir une tasse remplie de caféine, et j’en ai profité pour commander le plus grand format. Pendant que je mangeais mon muffin et que je buvais ma boisson chaude, Michael est venu s’asseoir à ma table – la seule de l’établissement – et nous avons discuté. Comme bien d’autres, il admirait mon courage de partir pour une si longue randonnée. Désireux d’aider, il m’a offert de me conduire au supermarché et invitée à prendre une douche chez lui. Sale, affamée, et surtout épuisée, j’ai accepté son invitation avec bonheur. Notre conversation initiale a été suivie, chez lui, d’une discussion prolongée devant un café bien meilleur et bien plus fort, puis éventuellement d’une bière. J’étais si reconnaissante lorsque son hospitalité s’est étendue à l’offre de passer la nuit chez lui, dans la chambre d’amis. Et quand il est parti souper avec des amis, j’en ai profité pour étendre mes vieux os fatigués sur un matelas bien moelleux.

Après un autre café bien fort et un copieux petit-déjeuner, je suis retournée sur le Sentier le lendemain. Un ventre rassasié, des vêtements propres, une douche et une bonne nuit de sommeil font toute la différence dans mes journées de marche. Celle-ci, en particulier, m’a menée dans le parc provincial Forks of the Credit. La section du lSentier Transcanadien qui passe dans le parc ne mesure que 3 kilomètres, et j’ai profité à fond de chacun d’eux. J’ai fait un arrêt à Credit River, où j’ai enfilé mon bikini pour aller nager. Je dis nager, mais en fait, l’eau était tout juste assez profonde pour me permettre de m’y asseoir et de m’amuser dans le courant.

Le reste de la journée, j’ai marché sur la voie routière menant à Inglewood, après quoi j’ai décidé de m’arrêter au magasin général. La chaleur et l’humidité avaient depuis longtemps fait se dissiper l’effet rafraîchissant de ma baignade dans la rivière, et je me suis dit qu’une crème glacée m’offrirait certainement un rafraîchissement tout aussi agréable. Je suis donc entrée dans le magasin et, par le fait même, dans une nouvelle histoire – une histoire que je vous raconterai dans le prochain article de mon blogue.

Vous me trouverez sur le Sentier, à mettre un pied devant l’autre…
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