12 novembre, 2018

12 novembre, 2018 et j’en suis à mon 19e km – Journal de bord de Mel Vogel

Par Mel Vogel

C’était le 12 novembre et j’avais parcouru 19 kilomètres de la randonnée que j’avais prévue.

Mon sac à dos se faisait lourd, et mon pied gauche me faisait horriblement souffrir dans mes nouvelles bottes; je boîtais presque. Un vent froid soufflait, et j’étais fatiguée. Fatiguée de marcher, fatiguée du temps qu’il faisait – et dire que l’hiver n’est même pas commencé. J’avais envie de m’arrêter pour aujourd’hui, de me mettre à l’abri, d’appeler Penny et Ron, mes hôtes, pour leur demander de passer me prendre afin que je puisse me reposer. Mais j’ai continué. Mon objectif était de couvrir au moins 30 kilomètres cette journée-là.

Alors que je traînais ma misère le long de l’autoroute 17, j’ai repensé à la conversation que j’avais eue avec Ken quelques jours auparavant, dans la communauté de la Première Nation de Pic River. Nous étions assis à la table de la cuisine, où il m’avait invitée à participer à un rituel de purification et m’avait chanté la Chanson de l’ours. Il m’avait parlé des enseignements et des croyances de son peuple, et m’avait fait cadeau d’un nom spirituel. Son visage s’était illuminé lorsqu’il m’avait dit: «Giizis Kwe», que l’on pourrait traduire par «Femme-soleil». Il avait répété ce nom quelques fois et m’avait expliqué pourquoi il lui semblait qu’il m’allait parfaitement.

Le lendemain, Sharon et Ken m’avaient déposée à l’intersection de l’autoroute, où j’ai entrepris une nouvelle journée de randonnée. En marchant en bordure de la route tout en réfléchissant à mon nouveau nom spirituel, je me suis mise à douter de moi-même. L’insécurité faisant son chemin, j’ai commencé à penser que ce nom était trop grand pour moi et que je ne le méritais peut-être pas, finalement.

J’en ai parlé avec Sharon et Ken quand ils sont venus me chercher en voiture sur Coldwell Road pour me permettre de passer une nuit de plus chez eux. Au cours de la conversation, Ken m’a dit: «Melanie, tu renies ton nom», ce à quoi j’ai répondu: «Pas du tout. J’exprime simplement comment je me sens et je partage mon doute avec vous parce que je n’ai pas assez confiance en moi pour porter ce nom-là.». Mais il a poursuivi: «Ça fait 10 minutes que tu renies ce nom». Sa voix était ferme; je le sentais perdre patience devant mon incapacité à saisir la beauté du nom qu’il m’avait donné. «Melanie, ce nom-là recèle tant d’énergie… Moi, je ne plus marcher; tu marches pour moi maintenant.» Ses paroles me sont restées en tête.

Se remettre en question peut être une force, mais également une faiblesse. Dans ce cas-ci, c’était les deux à la fois. C’était une faiblesse en ce que ce doute venait faire résonner le sentiment de ne toujours pas être assez – sans parler du sentiment de ne pas être assez bonne –, ce qui me faisait penser que je n’étais pas à la hauteur de ce nom. Ce nouveau doute faisait écho à une veille peur dont je tente toujours de me défaire.

Et en quoi mon doute était-il une force? Il a éveillé une curiosité en moi, me poussant à lire à propos du symbole spirituel que portait mon nom. Je ne tenais pas ce nom pour acquis. Je ne l’acceptais pas comme une certitude ou une évidence. Je devais l’étudier. Je me posais des questions. Il fallait que je me donne le temps de l’apprivoiser et de le ressentir. J’étais en processus d’exploration sur un nouveau chemin spirituel.

Au matin, Ken m’a de nouveau invitée à son rituel de purification et à prononcer une prière. Je ne suis pas quelqu’un de religieux dans la vie de tous les jours, et je n’ai donc pas l’habitude de prier régulièrement. Les mots glissaient de sa bouche sur ses lèvres, laissant deviner des années de pratique. Puis, ç’a été mon tour. J’étais nerveuse. Je trouvais intimidant d’arrêter mon choix sur un sujet pour lequel prier. J’ai pris place à la table de la cuisine avec Ken et fait brûler des herbes dans une coquille pour purifier mon corps et mon âme et les nettoyer de toute énergie négative. Enfin j’ai entamé ma prière, surprise de la facilité avec laquelle les mots me venaient.

Une fois que j’ai eu remballé mes affaires et que j’ai été prête à partir, Sharon et son fils m’ont déposée sur Coldwell de nouveau. Je marchais du côté gauche de l’autoroute quand j’ai vu un lièvre blanc pour la toute première fois de mon voyage. Il a bondi hors du fossé pour se trouver à quelques mètres devant moi, sur la voie d’accotement. Je me suis arrêtée pour l’observer alors qu’un camion passait. Nerveusement, le lièvre blanc a sauté pour traverser la ligne qui séparait l’accotement de la route elle-même et s’est trouvé face au camion, dans la voie où celui-ci avançait. J’ai retenu mon souffle, pensant en moi-même: «Fais en sorte que ça ne se produise pas, fais juste en sorte que ça ne se produise pas.». Je m’attendais vraiment au pire… jusqu’à ce que le lièvre fasse subitement demi-tour. Il s’est mis à courir et, dans le plus long saut du monde, a rejoint le fossé pour disparaître dans la forêt, bien en sécurité.

Ma prochaine inspiration fut profonde et s’est terminée sur un long soupir de soulagement. Je me suis remise à marcher et, au fil de ma randonnée, mes pensées sont revenues s’attarder à mon nom spirituel. À l’écoute de ce que je ressentais au fond de moi, je devais admettre que je l’aimais bien, ce nom. Et si, ai-je pensé, si j’acceptais que ce nom m’allait? Le flot de mes pensées s’est interrompu quand j’ai réalisé que j’avais oublié le foin d’odeur offert par Ken. Je m’étais dit que j’allais le ranger tout en haut de mon sac à dos pour éviter qu’il ne s’écrase ou même se brise, mais j’avais probablement été distraite et oublié de le prendre. Ça m’a rendue triste, mais je me suis dit qu’il me rejoindrait au moment opportun. Sharon m’avait déjà offert un petit sac de tabac à emmener avec moi sur la route pour démontrer ma gratitude à notre Terre-Mère.

Quand le moment sera venu, je porterai chacune des quatre herbes sacrées – cèdre, sauge, foin d’odeur et tabac – dans mon sac. La guidance spirituelle des peuples Premières Nations du Canada commence à peine pour moi.

Revenons maintenant au point où, épuisée, j’ai atteint 19 kilomètres.

«Je suis la Femme-soleil», ai-je soudainement pensé avec détermination.

Cette pensée m’est venue avec tant de confiance que j’en eu la chair de poule. Et je l’ai répétée: «Je suis la Femme-soleil. Giizis Kwe.».

Puis je me suis mise à pleurer. En tombant de mes joues, mes larmes ont rejoint la poussière salée de la route. Et c’est précisément le moment où j’ai réalisé toute la valeur du précieux cadeau que j’avais reçu. J’ai compris que je n’avais pas à être à la hauteur de mon nom spirituel, mais que celui-ci allait plutôt me soutenir, tout comme le soleil me soutient en m’apportant énergie, lumière, chaleur et vie. Chaque jour, la Femme-soleil m’accompagne. Elle est ma compagne, ma professeure et mon guide.

Je n’ai pas à être à la hauteur de quoi que ce soit, sauf de ma vraie nature. La bonne vieille question «Qui suis-je?», que je me suis déjà posée pendant mon séjour en Inde, a trouvé sa réponse spirituelle. Je suis la Femme-soleil. Sharon m’a appris que l’on pouvait porter plusieurs noms spirituels à la fois. Je vais me servir de celui-là pour l’instant, et il m’aidera à m’épanouir dans mon voyage d’aventure et sur le chemin de mon voyage spirituel.

Alors que je réfléchissais à tout ça, le soleil est apparu d’entre les nuages. Coïncidence ou approbation? J’ai choisi la deuxième, et les larmes ont continué à dégringoler sur mes joues.

Les événements se produisent pour une raison et surviennent au bon endroit au bon moment.

J’habite au Canada depuis longtemps, et je n’avais pourtant jamais visité de communauté des Premières Nations. C’était pour moi un territoire inconnu. Ni l’intérêt ni la curiosité me faisaient défaut, mais j’hésitais et je ne trouvais pas le courage de faire le premier pas vers une culture autochtone. Je craignais ne pas être la bienvenue. Mais après mes rencontres avec des membres des Premières Nations au cours de ma présente aventure, ma curiosité envers leur culture s’est décuplée. Puis, j’ai fait la connaissance de Nicole, une Ojibwe, au marché d’alimentation de White River. Elle m’a parlé de la Première Nation Pic Mobert, qui se trouvait un peu plus loin sur mon chemin. Notre conversation m’a inspiré l’audace d’interpeler une femme qui s’appelait Tracey à l’intersection de l’entrée d’autoroute qui mène à leur communauté, et je lui ai demandé si je pouvais m’installer au village pour la nuit. Après avoir pris le temps de dissiper tout soupçon qu’elle pouvait entretenir à mon endroit – elle avait quand même été arrêtée par une randonneuse inconnue au coucher du soleil –, elle m’a invitée à monter dans sa voiture et s’est renseignée aux alentours sur l’endroit où elle pourrait trouver Rosi et Fred, chez qui je me suis installée. C’est aussi Nicole qui a publié sur Facebook à propos de mon aventure, ce qui a mené à l’invitation de Sharon à m’installer ensuite au sein de la Première Nation de Pic River. De grandes choses se produisent lorsqu’on garde un esprit ouvert.

Loger chez deux communautés des Premières Nations m’a donné l’occasion d’apprendre, de poser des questions, et de participer à des cercles féminins de percussions ainsi qu’à des rituels. Tout ceci a fait croître ma curiosité, mon désir de faire de nouvelles rencontres et ma soif de vivre le prochain épisode spirituel de mon aventure. Ça faisait beaucoup à intégrer en peu de temps, mais c’est à ça que sert la route. À réfléchir.

Je suis si heureuse d’avoir fait tomber mes barrières en visitant des communautés des Premières Nations. Tant de choses sont possibles à partir de maintenant!

Pour moi, le Canada a toujours été l’image même de la vie sauvage et des grands espaces. C’est la raison pour laquelle je croyais pouvoir y trouver ma liberté. Mais il y a tellement plus que ça. Trouver ma liberté, c’est me libérer de ce qui me retient et qui m’empêche d’avancer; les croyances, les objets, les gens – n’importe quoi. Peu importe ce que c’est, ça demeure personnel. Alors que j’approfondis mon lien à la terre et à ses peuples, alors que je progresse sur mon chemin, alors qu’inévitablement je commence à explorer la spiritualité et les enseignements des peuples des Premières Nations du Canada, ma liberté se fait de plus en plus vaste. Le soleil brille dans toutes les directions. Je suis la Femme-soleil. Tout est possible.

Vous me trouverez sur le Sentier, à mettre un pied devant l’autre…

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