Opinion : L’accès à la nature devrait être un droit et non un privilège

En politique canadienne, rares sont les idées qui transcendent aussi nettement les lignes partisanes que notre attachement à la nature.
Les partis ne s’entendent ni sur ce qu’il faut protéger ni sur ce qui constitue une menace pour l’environnement. C’est pourquoi les politiques de protection de l’environnement varient considérablement d’un parti à l’autre.
Cependant, une chose est constante : que ce soit dans une publicité électorale, l’illustration d’un discours du Trône ou un souhait du temps des Fêtes, il y a presque toujours dans les messages politiques une référence à la feuille d’érable, aux Rocheuses, aux prairies et aux forêts, aux Grands Lacs, aux littoraux ou au Grand Nord.
La nature agit comme un raccourci symbolique pour exprimer qui nous sommes et ce que nous valorisons. Mais lorsqu’un nouveau gouvernement place cette idée au cœur de son programme, comme c’est le cas avec les Libéraux de Mark Carney, il faut pousser la réflexion plus loin : que signifie dire que la nature est au centre de l’identité canadienne? Et surtout, que faut-il faire pour en faire une réalité tangible?
Parc national Fundy au Nouveau-Brunswick. Crédit photo : Nigel Fearon Photographie.
Ce n’est pas qu’une question philosophique. C’est un appel à l’action. Cette affirmation, si on la prend au sérieux comme il se doit, entraîne au moins trois obligations concrètes : démocratiser l’accès à la nature, protéger les territoires qui nous définissent et bâtir des infrastructures naturelles, comme des parcs, des corridors verts ou des sentiers qui nous relient à notre environnement et… les uns aux autres.
Un récent sondage mené par la firme EKOS confirme que la majorité des Canadiens considèrent que la nature fait partie intégrante de notre identité. Pourtant, pour de nombreuses personnes, cette nature demeure inaccessible au quotidien. L’urbanisation croissante, les quartiers dépourvus d’espaces verts, les sentiers accessibles plus facilement en voiture et la hausse du coût de la vie limitent l’accès aux bienfaits physiques, psychologiques et sociaux du plein air. Si la nature fait partie de notre identité, y accéder ne devrait pas être un privilège, mais un droit.
Cela implique des investissements concrets dans des espaces publics qui rapprochent la nature des lieux de vie. Cela se traduit par plus de parcs de proximité, plus de sentiers multifonctionnels, plus de projets en plein-air menés par et pour les communautés. Ce type d’investissement est essentiel pour renforcer le lien à la nature, favoriser un sentiment d’appartenance, améliorer la santé publique et soutenir les dynamiques locales.
Protéger la nature, un des piliers de la plateforme libérale lors de l’élection d’avril 2025, exige plus que des règlements.
Dans le cadre du plan mondial pour la biodiversité adoptée en 2022, lors de la COP15, à Montréal, le Canada s’est engagé à accroître l’accès aux espaces verts (forêts, parcs, terres agricoles) et aux espaces bleus (rivières, lacs, zones humides), notamment dans les zones urbaines. Il s’est aussi engagé à intégrer la nature dans nos modes de vie, de planification et d’aménagement du territoire. Car on protège mieux ce que l’on connaît, ce que l’on fréquente et ce que l’on aime.
Aucun gouvernement ne pourra atteindre ces objectifs seul. Des partenariats durables avec les communautés autochtones, les organismes à but non lucratif, les municipalités et les experts locaux sont essentiels pour tisser un lien collectif à la nature et faire de sa préservation un sujet partagé, au cœur du vivre-ensemble.
Le lieu historique national du Canal-de-Lachine au Montréal.
Il nous faut aussi construire des infrastructures naturelles qui reflètent ce que nous sommes et ce qui nous tient à cœur. Le réseau national de sentiers en est un excellent exemple. Il soutient le transport à faibles émissions, protège les corridors écologiques, sert de coupe-feu lors d’urgences climatiques, facilite les déplacements de la faune et stimule les économies locales.
Il ne s’agit pas de bénéfices accessoires : ce sont des retombées tangibles d’un investissement public, qui contribue à ancrer la nature dans notre quotidien. La valeur économique des retombées écologiques offertes par le Sentier Transcanadien sur une base annuelle est estimée à 82 millions de dollars. Et c’est sans compter les effets sur la santé des 2,6 millions d’adultes canadiens qui le fréquentent, ce qui permet d’éviter 1,7 milliards de dépenses en soin de santé.
Souvent reléguées au second plan, ces infrastructures sont pourtant des vecteurs d’unité nationale. Elles méritent une place centrale dans notre vision de l’avenir.
Qu’il s’agisse des réseaux de parcs, des sentiers ou d’itinéraires de transport collectif innovants, ces projets partagés démontrent que l’infrastructure peut dépasser sa seule fonction utilitaire pour devenir un moteur de fierté collective. Le gouvernement Carney a ici une occasion unique de se démarquer. En soutenant des initiatives qui rapprochent les Canadiens, il peut aussi renforcer ce que nous avons en commun : notre territoire, notre bien-être, notre attachement à la nature.
Investir dans la relation entre les gens et leur environnement est l’un des choix les plus puissants et les plus rassembleurs que ce nouveau gouvernement puisse faire. C’est aussi un levier essentiel pour atteindre ses promesses en matière de protection de l’environnement, de croissance économique et d’affirmation identitaire.
Cela demande plus qu’un clin d’œil à la feuille d’érable pendant la période des questions. Cela exige d’ancrer la nature dans la vie des Canadiens, grâce à un meilleur accès, une protection accrue et un aménagement durable.
Cet article a été initialement publié sur le site Web d’Options politiques et est republié ici sous une licence Creative Commons.